Les fines poussières de roche générées par l’impact de Chicxulub pourraient avoir joué un rôle dominant dans le refroidissement de la Terre et la perturbation de la photosynthèse.
C’est ce que suggère une nouvelle étude publiée dans Nature Geoscience, à laquelle ont contribué les chercheurs Cem Berk Cenel, Özgür Karatekin et Orkun Temel de l’Observatoire royal de Belgique (ORB).
Reconstruction paléoartistique représentant le Dakota du Nord dans les mois qui ont suivi l’impact de Chicxulub il y a 66 millions d’années, et montrant un monde sombre, poussiéreux et froid dans lequel les derniers dinosaures non aviaires, illustrés ici par un Dakotaraptor steini, étaient au bord de l’extinction.
Illustration de Mark A. Garlick.
Depuis longtemps, les chercheurs reconnaissent que l’impact météoritique de Chicxulub a déclenché un hiver global, entrainant la disparition des dinosaures et d’environ 75 % des espèces sur Terre, il y a 66 millions d’années à la limite Crétacé-Paléogène (K-Pg). Cependant, l’effet sur le climat des différents types de débris éjectés du cratère reste débattu, et les causes exactes de cette extinction de masse reste floue. Des recherches antérieures avaient suggéré que le soufre libéré et la suie provenant des incendies de forêt consécutifs à l’impact constituaient les principaux facteurs responsables d’un hiver d’impact, en comparaison des poussières de silicate éjectées dans l’atmosphère. Toutefois, cette hypothèse était basée sur une connaissance limitée des propriétés réelles des particules de poussière, présente à la limite K-Pg et surtout de leur taille.
Pour évaluer le rôle du soufre, de la suie et des poussières de silicate sur le climat post-impact, Cem Berk Senel, Orkun Temel et Özgür Karatekin, scientifiques à l’Observatoire royal de Belgique (ORB), ont développé un nouveau modèle paléoclimatique, capable d’étudier la réponse biotique à la suite de l’impact de Chicxulub. Ces simulations ont été réalisées en incorporant de nouvelles données géologiques de haute précision provenant d’un site de la limite K-Pg du Dakota du Nord, aux États-Unis. Des échantillons de sédiments ont été prélevés et analysés au moyen de la granulométrie par diffraction laser par Pim Kaskes et ses collègues de l’unité « Archéologie, changements environnementaux et géochimie » (AMGC) de la Vrije Universiteit Brussel (VUB) et de la Vrije Universiteit Amsterdam (VUA). « Nous avons spécifiquement échantillonné l’intervalle supérieur, d’une épaisseur de l’ordre du millimètre, de la couche limite entre le Crétacé et le Paléogène. Cet intervalle a révélé une distribution granulométrique très fine et uniforme, que nous interprétons comme représentant les dernières retombées atmosphériques de poussières ultrafines liées à l’impact de Chicxulub. Les nouveaux résultats montrent des valeurs granulométriques beaucoup plus fines que celles utilisées précédemment dans les modèles climatiques. Cet aspect a des conséquences importantes pour nos reconstructions climatiques », explique M. Kaskes.
Les auteurs concluent que la distribution de la taille de ces débris de silicates (d’environ 0,8 µm à 8,0 µm) indique un rôle plus important des poussières fines qu’envisagé précédemment.
Cem Berk Senel (ORB), premier auteur de l’étude, décrit : « Les nouvelles simulations paléoclimatiques montrent que les poussières de silicate micrométrique auraient pu rester dans l’atmosphère jusqu’à 15 ans après l’impact, contribuant à un refroidissement global de la surface de la Terre de 15 °C ». Selon les coauteurs Steven Goderis et Philippe Claeys (tous deux de la VUB-AMGC), cette durée est cohérente avec les observations récentes de la couche d’iridium, issus de la météorite, dans la structure d’impact de Chicxulub, dont la sédimentation atmosphérique se déroule sur une période d’environ 20 ans. Les auteurs constatent que les modifications d’irradiation solaire induites par cette poussière bloqueraient la photosynthèse pendant près de deux ans après l’impact. La perturbation prolongée de la photosynthèse sur une telle durée pose de graves problèmes aux habitats terrestres et marins. Les groupes biotiques mal adaptés à l’obscurité, au froid et au manque de nourriture prolongés disparaissent. Selon Johan Vellekoop (KU Leuven et Institut royal des Sciences naturelles de Belgique), coauteur de l’étude, cette observation est cohérente avec les données paléontologiques, qui montrent que la faune et la flore capables d’entrer dans une phase de dormance (par exemple, grâce à des graines, des kystes ou l’hibernation dans des terriers) et de s’adapter à un régime omnivore, ne dépendant pas d’une source de nourriture particulière (par exemple, les mangeurs de dépôts), ont généralement mieux survécu à l’événement K-Pg.
Les auteurs suggèrent que la poussière de silicate, la suie et le soufre ont joué un rôle majeur dans le blocage de la photosynthèse et engendré un hiver d’impact suffisamment long pour provoquer l’effondrement catastrophique de la productivité primaire, déclenchant une réaction en chaîne d’extinctions.
Simulations de modèles paléoclimatiques montrant le transport rapide des poussières autour de la planète, indiquant que le monde paléogène a été entouré par les éjectas de poussière de silicate quelques jours après l’impact de Chicxulub (simulations de Cem Berk Senel).
« Les impacts par des astéroïdes de taille kilométrique tels que l’impact de Chicxulub, provoquant des événements d’extinction massive, sont rares. Cependant, les astéroïdes de petite et moyenne taille, de l’ordre de 100 mètres, sont beaucoup plus courants dans le Système solaire et peuvent conduire à provoquer des destructions à l’échelle régionale/nationale. », explique Özgür Karatekin (ORB). La mission de défense planétaire HéraHera de l’Agence spatiale européenne est la contribution de l’Europe à une expérience internationale de défense planétaire à laquelle contribuent les auteurs de la présente recherche de l’Observatoire royal de Belgique et de la VUB. La mission HéraHera validera la technique de déviation cinétique des astéroïdes par impacteur et améliorera notre compréhension de la géophysique des astéroïdes et des processus d’impact.
L’étude est le fruit du projet de recherche Chicxulub, financé par la Politique scientifique fédérale belge (BELSPO) BRAIN-be (Belgian Research Action through Intergraduate Networks). Il s’agit d’une collaboration entre l’Observatoire royal de Belgique, la Vrije Universiteit Brussel et l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique. Les auteurs ont également reçu le support de la Fondation pour la recherche en Flandre (FWO) et d’un projet FED-tWIN.
Cet article est basé sur un communiqué de presse conjoint de l’Observatoire royal de Belgique, de la VUB, de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique et de la KU Leuven.